Un mercredi, 14h45, dans les locaux de MBS ESG à Paris, une jeune femme en tailleur noir et talons m’accueille avec un sourire et une poignée de main ferme. Gwenaelle Ravier a 30 ans, elle est en reprise d’études en vue d’obtenir un Master of Business Administration (MBA) en Management de l’hôtellerie. « J’évolue dans le secteur hôtelier depuis plus d’une dizaine d’années mais mon objectif a toujours été d’accéder à des postes à responsabilités. Je veux voir comment la décision se prend ». Depuis deux ans, Gwenaelle alterne théorie sur les bancs de l’ESG et mise en pratique à l’hôtel du Donjon, un 2* situé aux abords du Château de Vincennes. « J’ai cours une semaine par mois, de 8h à 20h, du lundi au samedi. Pendant ma première année d’alternance, j’étais chef de réception. La deuxième, je suis passée directrice d’exploitation. C’est dense », sourit-elle. Mais la directrice-étudiante est habituée à cet emploi du temps bien rempli, pire elle le recherche et l’apprécie.
Je ne voulais pas continuer mes études, je me suis dit que j’allais travailler tout de suite.
Née en Martinique, elle arrive à Paris à l’âge de 12 ans. Après l’obtention de son bac, elle se dirige d’abord vers un BTS en Communication des Entreprises en alternance : « Au lycée, on m’avait dit que je m’exprimais plutôt bien, et la pub m’intéressait ». Rapidement, elle se rend compte que le secteur est saturé et ne souhaite pas poursuivre. « Je ne me voyais pas m’enfoncer dans une voie où il n’y avait pas d’emploi. J’ai décidé de me réorienter vers un domaine que je connaissais : l’hôtellerie-restauration ». Pragmatique. Sa mère est en effet issue du secteur et Gwenaelle a commencé à y travailler dès l’âge de 16 ans. Elle trouve un poste de serveuse dans un hôtel 2* où elle reste près de deux ans. « Quand je suis arrivée, je ne savais même pas porter un plateau, mais je me suis tellement investie qu’en fin de compte, je travaillais mieux que ceux qui étaient là avant moi. J’ai évolué beaucoup plus vite parce que j’avais envie de bien faire. » L’ambiance est bonne au sein de l’hôtel avec une équipe de rêve et un patron qu’elle apprécie. Gwenaelle le dit elle-même, elle aurait pu y rester toute sa vie mais elle veut évoluer et passer au bar. Refus flatteur de son manager : « Il m’a dit que les clients m’adoraient en salle et qu’on ne pourrait pas se passer de moi au service ». Gwenaelle décide de quitter l’entreprise « J’ai compris que ma mission était terminée parce que j’allais tomber dans une routine. Quand je n’ai plus de challenges, je deviens frustrée ».
En tant que serveuse, j’ai beaucoup fait la vaisselle et les toilettes.
Un jour, alors qu’elle fait la queue dans un fastfood, elle feuillette un journal gratuit de petites annonces et voit une offre de commis de bar au Hilton Paris La Défense. « C’était vraiment une bouteille à la mer. Je n’avais jamais été au bar, je ne connaissais aucun cocktail et je ne savais même pas que la mention barman existait. Je me suis dit que je n’avais rien à perdre et j’ai envoyé mon CV. Je voulais voir plus grand, plus international et j’avais envie de compléter l’expérience acquise en restauration ». Un coup de fil et un entretien plus tard, elle est recrutée. Curieuse et débrouillarde, elle apprend aux côtés de ses collègues, elle prend des notes et goûte beaucoup aussi pour connaître les saveurs à recommander à ses clients. Tout baigne, mais la jeune professionnelle est consciente de ses limites en anglais. « J’avais peur de parler. A l’école, on s’était toujours moqué de mon accent, aucun de mes parents ne parlait anglais. En parallèle du travail, j’ai donc pris des cours tous les après-midis pendant un an. Et puis, j’ai fini par poster mon CV sur le web et un chasseur de têtes m’a contactée pour une place dans un 5* au Pays de Galles. En deux semaines, j’ai démissionné et je me suis envolée pour un an avec un contrat déjà signé ». Sur place, Gwenaelle est barmaid, nourrie et logée. Elle vit avec ses collègues, et l’affirme en rigolant
C’est quand on est dans la galère qu’on apprend bien une langue étrangère !
Revenue à Paris en 2010, Gwenaelle se met en quête d’un emploi avec l’idée d’accéder à un poste de management. « C’était le projet. Mais on m’a rapidement fait comprendre que l’anglais ne suffisait pas pour ce type de fonctions. En fait, mon problème était mon manque de diplômes : je n’avais que mon bac général en poche et l’expérience que j’avais accumulée n’était pas valorisée ». Elle se fait tout de même embaucher par Bread and Roses, un salon de thé parisien, avant d’intégrer un BTS en Hôtellerie-Restauration à l’ICOGES. Condition sine qua non : elle veut l’effectuer en alternance. « Je suis restée à Bread and Roses mais je suis passée du CDI à l’alternance ». A ce poste, les responsabilités tardent encore à venir. En 2ème année, elle change d’entreprise d’accueil : ce sera le groupe Paris Inn, dans un hôtel situé non loin des Champs-Elysées. Là, elle accède enfin à ce qu’elle cherche. « J’avais une petite équipe de trois ou quatre personnes sur le petit-déjeuner. Je me suis vraiment confrontée à ce que je voulais ».
Gwenaelle poursuit en Licence Management International des métiers de l’hôtellerie et de la restauration à l’Université de Nanterre. Cette fois malheureusement, elle ne trouve pas d’alternance, mais fidèle à son habitude, elle enchaîne les extras pour Mariott, Hilton ou sur les Bateaux Parisiens. C’est d’ailleurs dans cette dernière entreprise qu’elle réalise le stage lui permettant de valider sa licence. « J’étais maître d’hôtel. J’ai pu voir la restauration dans un contexte touristique, différent de l’hôtel ou du restaurant ». Chaque bateau transporte jusqu’à 200 personnes, avec un équipage d’une quinzaine de membres. « Là, il y avait vraiment du challenge », affirme-t-elle.
J’ai compris que pour accéder aux responsabilités, l’expérience et l’anglais ne suffisaient pas. Je suis allée me former.
Elle aurait pu s’arrêter à l’obtention de son bac +3 mais, celle qui au départ ne voulait pas faire de longues études, décide de poursuivre. Au moment de faire son Master à MBA ESG, elle est convaincue d’une chose : si elle ne trouve pas d’entreprise pour le suivre en alternance, elle arrêtera. « J’avais encore envie d’apprendre mais j’avais besoin d’avoir des revenus. Une année sans alternance, c’était très difficile. A mon âge, j’ai un appartement, j’ai une vie. Je me disais que de toute façon, avec la licence, j’avais déjà des bases solides », justifie-t-elle. La roue tourne en la faveur de cette bosseuse puisque son ancien employeur, qui l’avait embauchée en tant que serveuse quelques années auparavant, reprend contact avec elle : « Il rachetait un deuxième hôtel et il m’a proposé d’être à la réception ». Sur le coup, Gwenaelle n’est pas très emballée. Elle ne peut s’imaginer assise derrière son écran d’ordinateur et ne se levant que pour enregistrer les arrivées et départs des visiteurs. Son truc, c’est plutôt de pouvoir conseiller les touristes, les interroger sur leur journée, bref, être en contact régulier.
J’avais une mauvaise image de la réception. Pour moi, c’était le bureau des plaintes.
L’hôtelier la persuade tout de même de faire un essai et Gwenaelle passe un accord : elle accepte le poste de réceptionniste à condition de pouvoir être en alternance et que son patron lui montre toutes les ficelles du métier. « J’avais toujours été dans de grands hôtels, tandis que l’hôtel Donjon est structure familiale, indépendante, de 25 chambres. Je voulais voir comment mon patron gérait son hôtel, sur quels points il se montrait vigilant au quotidien. Jusqu’à présent, il joue le jeu ».
Tous les vendredis, samedis et dimanches, elle est confrontée aux défis de ceux sont qui sont aux avant-postes de l’accueil des touristes. « A la réception, on est sans cesse interrompu ! Il faut être disponible pour les femmes de chambre qui appellent, pour les clients qui laissent leurs clés, pour les nouveaux arrivants qui doivent être enregistrés. Parfois, je commence une tâche censée être rapide, mais elle me prend toute la journée ! » Depuis, elle ne le cache pas, sa vision des réceptionnistes a totalement changé, d’autant qu’il y a un comportement avec lequel elle ne transige pas : ignorer le client. Ce dernier doit sentir qu’il est attendu et qu’il ne dérange pas. « Agir comme si le client n’était pas là ou ne lui accorder qu’une demi-attention, c’est la pire des choses. Après, pour contrebalancer ce sentiment, il n’y a rien à faire, c’est trop tard. A ceux qui me disent qu’ils peuvent effectuer deux tâches à la fois c’est-à-dire parler au client et vaquer à leurs occupations, je dis non. On ne peut pas. Même si ce n’est pas le bon moment, le client passe avant tout. C’est parfois difficile à faire comprendre aux équipes, mais c’est comme ça ».
L’investissement de la jeune femme et son éthique de travail paient puisqu’un an après son arrivée à l’hôtel, elle dirige l’établissement. Grâce à l’accompagnement bienveillant de ses managers, la montée en compétences s’est faite graduellement. « En Master, on voit beaucoup de stratégie, de questions d’actualité et c’est une vraie plus value pour l’entreprise. Quand on revient dans l’entreprise, on applique la théorie à notre contexte. C’est agréable d’être dans cette position où on peut réfléchir ».
Je veux des responsabilités, mais je veux aussi qu’on me montre comment faire !
Plus tard, l’étudiante se voit créer son entreprise en s’appuyant sur l’expérience qu’elle a acquise, son réseau et ses connaissances accumulées à MBA ESG. « Pour l’instant, ce n’est qu’une idée », prévient-elle. Pourrait-elle la mettre en place à la Martinique ? Une piste qu’elle n’exclut pas : « à l’école, j’ai eu l’occasion de réclamer à plusieurs reprises qu’on parle de la Martinique. C’est chez moi après tout ! Une partie de ma famille y habite. Un de mes professeurs nous a fait travailler sur un projet d’établissement de 1600 lits là-bas. C’était un clin d’oeil. Mais si je dois revenir, ce sera dans le cadre d’un projet, ce sont des décisions qui ne se prennent pas à la légère ». En attendant, Gwenaelle s’engage aux côtés des Martiniquais qui viennent dans l’hexagone pour poursuivre leurs études. Elle fait en effet partie de l’association Martinique Ambition Jeunes qui propose un dispositif de parrainage pour les nouveaux arrivants. « C’est ma façon d’apporter ma pierre à l’édifice ».
Gageons que l’île saura faire appel à ses talents pour son développement touristique.