Tribune : Le potentiel du tourisme culinaire aux Antilles Françaises est sous-exploité

La gastronomie est un marqueur identitaire et culturel d’un territoire. A ce titre, elle est devenue au fil des années un argument de promotion touristique pour les destinations qui sont conscientes de son potentiel en matière d’attractivité et de fidélisation des clientèles.
La Martinique et la Guadeloupe n’ont de cesse de promouvoir leur patrimoine gastronomique comme facteur de différenciation touristique. Toutefois, malgré quelques initiatives intéressantes et goûteuses, la démarche est pertinente, elle n’est ni structurée, ni ambitieuse, ni pragmatique. 

  • L’offre touristique culinaire locale n’est pas organisée. Soyons clairs, le tourisme culinaire va au-delà de la « haute cuisine ». L’offre manque d’abord de lisibilité : qui fait quoi, où, comment ? Par ailleurs, les acteurs peinent à collaborer pour créer des synergies qui semblent pourtant évidentes. Enfin, l’offre manque de visibilité pour le visiteur extérieur à la recherche d’expériences singulières.

 

  • Il n’y a pas de festival culinaire de grande ampleur : certes, il y a la Fête des Cuisinières en Guadeloupe ou le défunt Festival International de la Gastronomie ; la Fête de la Banane ou le Martinique Chef’s Festival. Mais ces événements – qui concernent des thématiques précises – ne parviennent pas à attirer massivement un public extérieur qu’il soit caribéen, canadien, américain ou européen. Dit plus crûment : il y a aujourd’hui peu de touristes – voire pas du tout – qui se déplacent spécifiquement en ayant en tête ces manifestations. Elles ne sont pas des incontournables du calendrier.

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Crédit : France-Antilles

  • La visibilité autour des chefs antillais francophones basés dans la région demeure limitée. Certes, il y a Louis-Philippe Vigilant, Béatrice Fabignon, Marcel Ravin ou plus récemment Jean-Rony Leriche (Gault et Millau 2017) dans l’hexagone. Ce sont des ambassadeurs, qui à leur échelle, représentent les Antilles mais les touristes ne peuvent déguster leurs créations ni en Martinique ni en Guadeloupe.
    Les chefs et artisans présents sur place font du bon travail, mais hormis quelques-uns, ils peinent à se faire connaître au-delà de nos frontières. Quand ils y parviennent, ils ont du mal à capitaliser sur cette renommée. C’est le cas de Naomi Martino ou des Frères Lauzéa qui font partie des meilleurs chocolatiers mondiaux par exemple. C’est sûrement le cas de Fabienne Youyoutte. Mais les touristes viennent-ils aux Antilles en se disant qu’il faut absolument goûter leurs réalisations sous peine d’avoir raté leur séjour ? Difficile à croire. Plus simplement : nous avons besoin d’étoiles de la gastronomie, qui soient mises régulièrement en avant, pour servir de vitrines à ces territoires.

 

  • Conséquence ou corollaire du point précédent : la Martinique et la Guadeloupe sont absentes des classements nationaux ou internationaux. Oui, de temps à autre, un article met en lumière la richesse de la gastronomie de ces territoires et l’on s’en réjouit. Mais pas de table au Guide Michelin ou Gault et Millau pour des destinations qui accueillent encore une majorité de touristes francophones ? Ces guides, aussi controversé qu’ils soient, servent encore de repères pour les visiteurs. Pas de présence lors de compétitions telles que le Taste of the Caribbean ? Dommage. Nous avons des concours locaux, mais l’objectif reste, dans le cadre du tourisme culinaire, d’attirer des personnes extérieures.

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Crédit : Le Riche de Saveurs

  • Pas de lieu emblématique : Cité du Vin à Bordeaux, Centre Culinaire et Contemporain à Rennes, Cité internationale de la gastronomie et du vin à Dijon, Cité internationale de la gastronomie à Lyon. Certes, ces références sont exclusivement nationales mais le message peut-il être plus clair ?

 

  • La formation dans ces territoires demeure chaotique. Vraiment. Dans le dossier spécial « Hôtellerie-restauration » du VTA Magazine n°2, nous avons longuement abordé ce point. Pour vous le procurer, abonnez-vous pour 99€/an.

 

  • Les « influenceurs » gastronomiques sont peu nombreux. Il y a bien Tatie Maryse, Ma Cuisine Créole ou Je Cuisine Créole qui cumulent des millions de vues sur le web mais elles sont plutôt du côté de la production de plats. Or, si la gastronomie connaît un tel essor, les réseaux sociaux n’y sont pas étrangers. A date, qui sont les influenceurs culinaires locaux ?
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Crédit : Atelier Foodîles

  • L’animation culinaire locale peine à se renouveler. Il n’y a pas assez d’actualité gastronomique. Plusieurs entreprises (Karambole Tours, Beyond the Beach, Créole Trip, Foodîles, Ateliers Médélices, les distilleries) ou organes de promotion touristique se positionnent sur ce créneau. Mais les touristes – surtout ceux qui sont déjà venus visiter les destinations – recherchent de l’inédit, de l’avant-gardisme ou de la tendance dans leur expérience : circuits originaux, pique-niques en plein air, restaurants éphémères ou insolites, valorisation de la cuisine de rue, visites de fermes, d’usines, ateliers culinaires chez l’habitant ou avec des chefs, dégustation, pêche. Le risque serait d’assister à une « boboïsation » ou une « gentrification » de la gastronomie mais rester à l’écart d’idées neuves, en mesure de créer l’événement, peut être risqué.

 

Il est de coutume pour certains de nos lecteurs de s’approprier les idées figurant dans nos tribunes sans citer leur source : c’est une mauvaise habitude :). En revanche, pour en discuter : info @ veilletourismeantilles.com sans les espaces.