Notre première rencontre depuis la relance de VTA Magazine s’est déroulée le jeudi 15 septembre 2016 au Centre International de Séjour (CIS) en Martinique. Une quarantaine de personnes s’étaient réunies pour échanger sur la thématique « La gastronomie est-elle le nouvel eldorado du tourisme en Martinique ? ».
L’île a été récemment distinguée parmi les meilleures destinations caribéennes en matière de gastronomie. Cette année, le chef étoilé Marcel Ravin a ouvert son restaurant dans l’hôtel d’affaires Le Simon à Fort-de-France. En parallèle, de nouveaux concepts émergent à destination des touristes qui veulent « goûter » à la Martinique : déjeuner chez l’habitant, ateliers culinaires, visites de marchés avec des chefs ou remise au goût du jour de produits anciens.
Pour échanger sur ce sujet, nous avons fait le choix de proposer un panel varié. Merci à nos intervenants qui ont accepté de prendre la parole :
- Charles Larcher, président du CODERUM qui fédère tous les « rhumiers » de l’île, des plus petites aux plus grosses distilleries
- Alexander Tuin, dirigeant de Poyo Rico Antilles, qui propose un concept de fast-food à base de farine de manioc
- Laetitia et Laurence Biron, qui ont créé les Ateliers culinaires Médélices
- Luc Lerandy, de l’OSATOURC de Sainte-Marie. La ville propose plusieurs événements culinaires : la Semaine gastronomique, le Mai des mets par exemple. Elle a publié un guide « Saveurs des Caraïbes » en collaboration avec des chefs caribéens dans le cadre du programme INTERREG.
Une identité culinaire qui reste à trouver
Comme l’a indiqué Mady Mérine, présidente du Syndicat des restaurateurs et traiteurs de la Martinique, « la gastronomie, c’est avant tout le terroir. » Il peut s’agir à la fois de ce qu’on mange et de ce qu’on boit. Mais quels sont les éléments de terroir iconiques de la Martinique ? Le Ti’Punch assurément, « le planteur » a ajouté Mady Mérine. Le shrubb ? Le mot est d’origine…arabe a rappelé Charles Larcher : il signifie « boire ». Mais, bien que très attachés au Ti’Punch, les Martiniquais connaissent mal le rhum produit sur l’île selon le président du CODERUM. Dans un restaurant, un serveur ou un sommelier aura du mal à proposer des accords mets-rhums comme il en existe avec le vin par exemple.
Et pour les plats, lequel est typique ? Se pourrait-il que le Poyo Burger, le premier burger à base de farine de manioc, devienne à la Martinique ce que le bokit est à la Guadeloupe ? C’est en tout cas le souhait du co-fondateur de Poyo Rico Antilles, Alexander Tuin. L’idée de proposer des produits à base de farine de manioc remonte à son enfance à Fonds-Saint-Denis, dans le Nord de l’île, en compagnie de sa grand-mère. Après plusieurs expériences entrepreneuriales plus ou moins couronnées de succès, il s’est arrêté sur ce concept de fast food un peu particulier. » Nous avons réalisé plusieurs tests, notamment avec mon fils, nos marques et notre concept sont déposés à l’INPI et notre clientèle apprécie », a-t-il affirmé. Une satisfaction puisque la farine de manioc est réputée acre, pas appréciée des enfants. Poyo Rico Antilles s’est également associé à un glacier pour proposer des glaces aux parfums très locaux : atoumo, citronnelle, basilic ou rhum vieux pruneaux. La difficulté à s’arrêter sur un plat phare tient peut-être, paradoxalement, à la richesse du patrimoine culinaire de la Martinique. La gastronomie de l’île est en effet influencée par l’Afrique, la France, l’Inde, la Caraïbe comme l’a rappelé Laurence Biron des Ateliers Médélices.
La promotion de la gastronomie martiniquaise n’est pas récente
Sainte-Marie a initié sa Semaine gastronomique il y a 20 ans. Des précurseurs ! La manifestation met à l’honneur des fruits et des légumes du terroir, cuisinés par les restaurateurs de la ville. « Nous attirons des Martiniquais d’autres villes, mais il n’est pas toujours aisé d’avoir le réflexe touristique », a confié Luc Lerandy. L’événement se tient en outre en basse saison ce qui ne facilite pas la venue de visiteurs étrangers. Les rhums martiniquais, eux, « s’exportent depuis plus de 100 ans », a expliqué Charles Larcher. « Nos rhums sont distribués dans plus de 100 pays tels que le Japon, la Nouvelle-Zélande ou les Etats-Unis ». Dans la salle, un participant a fait remarquer que, lorsqu’il voyage, notamment aux Etats-Unis, il est toujours agréablement surpris et fier de constater la présence récurrente des rhums martiniquais. « Nous sommes des ambassadeurs de la Martinique à l’étranger », a relevé avec enthousiasme Charles Larcher. Les Rhums Clément mettent en parallèle un plan marketing actif à destination des cibles non-locales. La Ti’Punch Cup est un exemple d’événement visant à promouvoir la filière canne-rhum-sucre auprès des barmen. Organisée dans une dizaine de pays, la finale se tient à l’Habitation Clément en Martinique.
Nous avons fait venir 100 barmen l’an dernier. Pour les amateurs de rhum, la Martinique est un peu une terre messianique
a indiqué le dirigeant. Mais comment se faire connaître des touristes lorsque l’on dispose d’un budget limité ? « Nous sommes créatives », a expliqué Laetitia Biron des Ateliers Médélices. « Nous avons même fait les choses à l’envers puisque nous avons commencé par nous faire connaître à New York, auprès des agents de voyage, dès le lancement de l’activité ». Une tactique qui, deux ans plus tard, porte ses fruits puisque les Ateliers reçoivent des demandes de touristes américains. Les deux soeurs ont également fait le choix de s’appuyer sur une communication en ligne active via les réseaux sociaux, en particulier Facebook. A Poyo Rico, l’ambition d’Alexander Tuin est claire : développer la franchise en Martinique d’abord, puis à l’international.
Proposer des expériences singulières
Une fois sur place, que peut-on proposer aux touristes ? La chaîne de valeur autour de la gastronomie n’est pas encore totalement structurée, mais, pour Laetitia et Laurence, l’expérience doit être au coeur de la visite touristique. « Nous proposons par exemple d’aller faire le marché avec les chefs, nous sélectionnons des produits de saison ». Leurs clients ? Surtout des Américains, catégorie CSP+.
Nous ne vendons pas seulement un burger aux clients qui viennent au Diamant, nous vendons un service, nous vendons la Martinique
a commenté Alexander Tuin. Une démarche qu’apprécient les visiteurs puisque l’enseigne a obtenu le Certificate of Excellence de Trip Advisor en 2016. « Cette distinction récompense les établissements qui ont obtenu d’excellents avis de voyageurs sur TripAdvisor de manière constante pendant l’année écoulée ». Faire vivre la Martinique : un point de vue auquel adhère Charles Larcher. « Quand nous faisons venir des barmen à la Martinique, nous leur faisons découvrir l’île. Les distilleries martiniquaises accueillent chaque année 600 000 personnes », parmi lesquelles plus de 110 000 se rendent à l’Habitation Clément. Le spiritourisme semble donc avoir le vent en poupe.
Autre impératif : se renouveler pour parvenir à séduire et fidéliser la clientèle. A ce sujet, Luc Lerandy a souligné la multitude d’événements qui voyaient le jour autour de la gastronomie. « Il faut que l’on arrive à proposer du neuf, on y réfléchit ». A Poyo Rico, l’innovation passe par la recherche constante de nouveaux produits : Panioc sans gluten, Z’accras ou Poyo Mix, des morceaux de poulet frits à la farine de manioc. Même les rhums ont du s’adapter : dans certains pays, l’alcool à 50° est considéré comme beaucoup trop fort, notamment auprès de la cible féminine. Solution : proposer des cocktails arrangés à base de fruits.
Des efforts restent encore à réaliser
La Martinique a une gastronomie à faire valoir et qui est en mesure d’attirer des clientèles touristiques. Oui, mais un travail de longue haleine est encore nécessaire pour maximiser son potentiel. Le président de l’OSATOURC a partagé une anecdote : suite à la réouverture du Tombolo de Sainte-Marie, la Ville avait organisé des manifestations mettant en avant la gastronomie. Elle s’est retrouvée victime de son succès puisque de nombreux visiteurs n’ont pu trouver de place dans les restaurants et ont du se rabattre…sur des fast foods internationaux.
Il faut parvenir à coordonner les acteurs
a insisté Luc Lerandy. La question des horaires a surgi suite à une remarque d’un participant qui a gentiment noté que Poyo Rico Antilles n’ouvrait qu’à 12h, au grand dam de son palais gourmand. Sur ce point, Mady Mérine a rappelé que le préfet avait pris des engagements pour les horaires d’ouverture des restaurants. Pour Charles Larcher, l’ouverture des lieux d’accueil doit également être prise à bras le corps par les institutions publiques. « L’Habitation Clément est ouverte tous les jours », a-t-il martelé. « Mais la Bibliothèque Schoelcher à Fort-de-France par exemple ne l’est pas. Un touriste ne connait pas le samedi et le dimanche ». Autre point faible de la destination : il existe encore trop peu de produits locaux sur les tables de certains lieux de restauration. « Lorsque nous faisons venir des Américains en Martinique, ils sont étonnés de ne pas trouver d’eau de coco sur la table ». Un point de vue partagé par Laurence et Laetitia Biron.
L’événement s’est terminé sur un cocktail networking pour permettre à tout le monde de poursuivre la conversation, d’échanger cartes de visite et projets potentiels.
Pour aller plus loin
- Les Ateliers Médélices lancent un supplément Cuisine Bô Kay avec France-Antilles. Vous pourrez y retrouver 30 recettes anti-gaspillage concoctées par les chefs des ateliers. Des shows culinaires gratuits auront lieu au centre commercial Genipa les 23 et 24 septembre.
- Poyo Rico sera à la Foire Internationale de Marseille du 23 septembre au 3 octobre. Le restaurant du Diamant sera fermé du 17 septembre au 10 octobre inclus.
- Contact Entreprises et le CODERUM organisent les Ateliers du rhum et de la canne les 17 et 18 novembre au Château La Favorite.
- La Semaine Gastronomique de Sainte-Marie reviendra en 2017. Des événements par l’OSATOURC seront également proposés pour les fêtes de fin d’année.
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