COVID : « la CTM n’a pas pris la mesure du désarroi des entreprises »

Le 9 avril 2020, la Collectivité Territoriale de Martinique votait deux mesures exceptionnelles de soutien aux entreprises pour faire face à la crise de la COVID-19. Cinq mois plus tard, plusieurs gérants de structures touristiques confient se sentir abandonnés par l’institution. En cause, des délais de paiement à rallonge et des versements en-deçà du montant des pertes. A quelques mois des élections, cette situation pourrait bien se révéler décisive dans les urnes.

Lorsque le gouvernement déclare le confinement généralisé le 16 mars 2020, il sonne le glas de la haute saison touristique aux Antilles Françaises. 64% des entreprises martiniquaises baissent le rideau dont 87% pour celles évoluant dans le secteur du tourisme (étude Qualistat). Sans clients, avec peu ou pas d’activité, les chefs d’entreprises vivent un cauchemar. Petit à petit, plusieurs mesures d’aides nationales sont annoncées : prise en charge du chômage partiel pour les salariés ; fonds de solidarité sous forme de paiement de 1500€ maximum pour les gérants ; report des charges sociales et Prêt Garanti par l’État.

Au niveau local, la Collectivité Territoriale réagit aussi avec deux mesures : le fonds de subvention territorial et le volet 2 du fonds de solidarité mis en place par l’État. « J’ai été bluffé par la réactivité de la CTM », se félicite Cédric*. « Elle a réagi 3 semaines après le début du confinement. Cela peut paraître long mais en temps institutionnel, c’est plutôt rapide », juge-t-il. Mais passé les effets d’annonces, la réalité politique rattrape les entreprises martiniquaises. Au 30 juillet 2020, 15 jours après la clôture des dépôts d’aides pour les entreprises locales, environ 4000 dossiers étaient en cours d’instruction selon la conseillère exécutive Marinette Torpille, sur près de 6000 comptes créés sur la plateforme dédiée. « 300 dossiers ont été mandatés début juillet pour plus d’1,2 million d’euros. Un 2ème lot de 500 dossiers a été transmis au président du conseil exécutif » indiquait-elle en conférence de presse. Soit au total, 800 dossiers mandatés ou très prochainement mandatés sur près de 4000.

« Les aides de la CTM arriveront quand on sera en dépôt de bilan ».

L’amertume et la défiance envers la CTM croît progressivement. « Les aides de l’État sont peut-être imparfaites, mais elles ont le mérite d’avoir été réellement appliquées pour éviter le pire », détaille Cédric. A l’inverse, la mobilisation de la Collectivité semble lourde et pas à la hauteur des enjeux. « Quand on fait une demande d’aide d’urgence, on ne demande pas l’aumône ou un traitement de faveur. », tient-il à préciser. « Nos pertes sont justifiées, validées par des experts-comptables. » Même son de cloche chez Élodie*, à la tête d’une entreprise de loisirs. « Pendant le confinement, j’ai négocié avec ma banque pour geler mes échéances de prêt professionnel et j’ai mis mes salariés en chômage partiel. Cela m’a permis de limiter certains coûts. Avec l’aide de 1500€, j’ai gardé la tête hors de l’eau. En juillet et août, nos compatriotes ont joué le jeu, merci à eux car le chiffre d’affaires est remonté. Mais la Martinique est désormais placée en zone rouge, ce qui peut effrayer les voyageurs. Les liaisons avec la Guadeloupe sont réduites. Notre calendrier de réservations pour les prochains mois est peu dynamique en comparaison de l’an de l’an dernier », soupire-t-elle. La gérante avoue que sa société est en situation précaire. Elle attendait les aides promises par la Collectivité Territoriale de Martinique mais à date, aucun signe de vie de l’institution. « Mon dossier est en commission depuis environ 3 semaines. L’idée de permettre un suivi en ligne est bonne dans une logique de transparence. Mais faire avancer les dossiers serait encore mieux », souligne-t-elle avec regret. Pour Cédric, « il y a urgence et pour le moment, on doit se débrouiller seuls. Les aides arriveront sûrement pour payer les administrateurs judiciaires ».

Les délais de versement des subventions généralement insatisfaisants en Martinique paraissent encore plus longs dans la situation actuelle où l’incertitude règne.

Des versements incohérents par rapport aux pertes

Mais toutes les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne. Certaines ont heureusement reçu les aides promises. Toutefois, le montant est en décalage avec les pertes. « 90% de mon activité dépend du tourisme notamment de la croisière », explique Dominique*. « Ma perte de chiffre d’affaires se chiffre à près de 10 000 euros que j’ai dûment justifiés mais la CTM m’a versé 2 000€. J’évite de me plaindre car je me considère privilégiée mais c’est clairement en-dessous de ce que j’espérais.  On entend que la CTM dispose d’un excédent budgétaire mais les entreprises dans le besoin à cause du COVID sont mal loties », tranche-t-elle.

 Certains chefs d’entreprises ne se rémunèrent plus

Selon l’enquête Qualistat, 78% des entrepreneurs martiniquais se disent « vivement inquiets quant à l’avenir de leur entreprise. C’est le cas pour 96% pour le secteur du tourisme ».

Un sentiment palpable : « J’ai préféré réduire sur mon salaire pour payer mes salariés car le chômage partiel n’est plus couvert à 100% et préserver ma société », souligne Élodie. La gérante indique qu’elle n’exclut pas de licencier des membres son équipe. « La décision serait difficile à prendre car nous sommes soudés. On a un bon relationnel mais c’est compliqué pour l’entreprise », indique-t-elle.

La santé mentale des dirigeants d’entreprises est un sujet qui semble aussi négligé. Ceux que nous avons interrogés se sentent une responsabilité à trois niveaux : pour leur entreprise, pour leurs salariés et à titre personnel. « J’essaie de réinventer l’activité, de trouver des solutions de diversification de revenus, mais j’ai l’impression d’être dans le brouillard, d’avoir le cerveau qui explose et de devoir gérer une vague après l’autre. Tant que l’on n’a pas vécu cette période, jonglant avec les échéanciers de paiements, on sous-estime l’impact sur le moral. Ma famille en fait les frais », conclut Cédric.

Le ou la candidat.e à la Collectivité Territoriale de Martinique qui parlera le mieux d’économie au cours des 6 prochains mois pourrait séduire la masse des petits entrepreneurs, lassés des comptes d’apothicaires de la CTM. En mars 2021, au moment des élections, les blessures de trésorerie du confinement seront encore purulentes.

*Les noms ont été changés pour préserver l’anonymat des personnes.